Tribune
libre J’ai fait part
dernièrement aux lutins de mon inquiétude au sujet de la croissance à
l’occasion d’une réunion du Conseil supérieur des lutins thermiques (CSLT). Voilà la nature de notre
conversation : Balendard « La théorie d’une croissance économique continue et son indicateur
actuel le PIB qui ne s’arrête jamais n’est pas viable selon moi. J’ai acquis
cette conviction en observant les courbes de la croissance dans le monde
depuis le début de l’urbanisation, instant de l’histoire où cette dernière a
véritablement commencé, il y a seulement une cinquantaine d’années. Pendant
une aussi courte période, le PIB a été multiplié par cinq, ce qui
correspondant sensiblement en moyenne à un taux de croissance annuel proche de
2 % et je m’inquiète de savoir à quel niveau nous serons au début de
l’an 3 000. » Les lutins « Vous avez
raison de raisonner sur le long terme pour la raison que c’est en effet avec
le temps qui passe que l’on constate qu’une croissance économique et son
indicateur actuel le PIB, qui ne s’arrête jamais, n’est pas fiable. La
croissance a en effet été multipliée par cinq entre les années cinquante et
l’an 2000 avec un taux de croissance moyen voisin de celui que vous évoquez
et vous avez raison de vous inquiéter. Pour savoir quel sera le monde en l’an
3 000 s’il devait continuer avec un tel taux, qui n’a pourtant rien à
voir avec les taux de croissance annuels actuels en Chine de 10 %, il
suffit de trouver le nombre 1,021000 ou de multiplier
1 000 fois par lui-même le nombre 1,02 ce qui revient en définitive
au même. Le résultat, voisin de 400 millions, est extrêmement inquiétant
et prouve bien qu’il y a quelque chose qui cloche dans le système
actuel. » Balendard « Mais alors que faut-il faire ? Tout le monde explique que
sans croissance, c’est le chômage, une société à l’arrêt et sans avenir, on
évoque le “développement durable” comme une solution à nos problèmes alors
qu’en vous écoutant, je réalise que ces deux termes sont presque
contradictoires. » Les lutins « Le
problème est complexe et je préfère me reporter aux propos récents évoqués
par le secrétaire général de l’OCDE qui considère qu’il faut absolument construire une nouvelle
coordination des politiques publiques. Une
coordination qui prenne en compte le fait que les indicateurs classiques tels que le PIB ou l’inflation ne suffisent
plus pour mesurer le progrès et lutter contre la pauvreté. Le progrès
technique a joué un rôle primordial jusqu’à présent dans la croissance mais
il faut le reconsidérer. Il doit être maintenant au service de la lutte
contre la pauvreté et du bien-être en n’engendrant plus une augmentation
débridée et irréfléchie de la consommation. Nous ne devons plus regarder la
courbe de la croissance française comme nous regardons un électroencéphalogramme
plat annonciateur d’une mort certaine. Nous allons vers un autre monde où la
croissance ne sera plus synonyme de progrès. Pour sortir de la spirale
infernale de la croissance, d’ailleurs à l’évidence liée au réchauffement
climatique, une meilleure exploitation des énergies renouvelables est une
voie prometteuse qui pourrait nous aider à franchir cette mauvaise passe.
Nous en avons encore les moyens, mais saurons-nous le faire avant qu’il ne
soit trop tard ? Une prise de conscience collective est nécessaire. Des
organisations telles que l’OCDE et l’ONU pourraient se saisir de ce problème
avant qu’il ne se solutionne de lui-même par les guerres, mais la réponse à
cette question gît peut-être au plus profond de nous-mêmes. » |
Un lutin a écrit ce
qui suit lors de l’année 2006
« L’une de mes petites-filles est en Maths spé et
calcule volontiers des exponentielles et des logarithmes népériens par
approximation : Ln (1 + e) ~= e .
Je ne sais pourquoi, l’autre jour, après une discussion
avec elle, l’idée saugrenue m’est venue de calculer à quel facteur
multiplicatif conduirait un taux de croissance de 3 % par an pendant
1 000 ans (1.03 1000). Oh, horreur ! Le calcul
approximatif donne mille milliards ; un calcul plus exact est pire :
les valeurs sont multipliées par 6 874 milliards. Il n’y a donc aucune
chance qu’avec les taux de croissance actuels de la population et de
l’économie, l’humanité dure encore 1 000 ans !
On peut se dire que 1 000 ans, c’est beaucoup,
mais en fait c’est très peu : des hommes remarquablement cultivés et
instruits, les Égyptiens, les Grecs, les Romains et bien d’autres vivaient sur
la terre il y a plus de 2 000 ans et plus. Nous admirons encore leur
philosophie et nous lisons leurs écrits ; y aura-t-il encore quelqu’un,
dans 1 000 ans, qui lira les nôtres ? Si nous ne faisons rien,
c’est peu probable. Pourtant, certains semblent se soucier de ce qui se passera
à cette époque : j’ai entendu récemment des éminents spécialistes de
l’enfouissement des déchets nucléaires ou de la séquestration du carbone qui
disaient qu’il fallait trouver des sites d’enfouissement qui restent étanches
pendant plus de mille ans, très bien, mais si l’on ne prend pas des mesures
beaucoup plus drastiques, à l’échelle de l’humanité, ça ne sert à rien. Ça ne
protégera que les cafards ou les fourmis qui auront remplacé Homo sapiens sur la terre en 3006. Plus
pessimiste encore : si la terre est capable de supporter un rythme de
consommation annuel des ressources dix fois supérieur au rythme mondial actuel,
ce qui est très optimiste, le taux de croissance actuel de 3 % laisse à
l’humanité la durée d’une vie de soixante-dix-huit ans…
On peut donc penser, d’ici là, à quitter la terre et à
aller ailleurs : “Sic itur ad Astra !”
Mais dès cette date de 2084, ce n’est pas seulement sur
la planète Mars qu’il faudrait être prêt à déménager, mais sur plusieurs
autres. À l’échelle de 1 000 ans, ce n’est plus de planètes dont il
faudrait parler, mais de galaxies. Une galaxie comme la nôtre contient en gros
100 milliards d’étoiles. En supposant, de façon très optimiste, que
chacune d’entre elles abrite en orbite une planète habitable, ce n’est pas une
galaxie qu’il faudrait conquérir mais plusieurs dizaines. Or notre voisine la
plus proche, faisant partie de ce qu’on appelle le groupe local, est Andromède,
qui est tout de même à 2 millions d’années-lumière (1 année-lumière~=
10 000 milliards de kilomètres). L’amas de la Vierge, lui, est à
58 millions d’années-lumière. Il ne semble pas qu’il y ait le plus petit
espoir d’atteindre un tel objectif.
Si donc Homo
sapiens doit rester sur la terre, il faut de toute urgence arrêter la
croissance de la population
d’abord, de l’économie ensuite, ce
qui est complètement opposé aux habitudes naturelles, aux désirs bien
compréhensibles des hommes et aux messages que martèlent les chefs religieux et
politiques. Le « croissez et multipliez ! » qui était valable il
y a 2 000 ans, avec une population de la terre estimée, je crois, à
300 millions d’habitants, est aujourd’hui suicidaire pour Homo sapiens.
Il faut regarder la réalité en face : il n’y a pas
le moindre doute, quoi qu’on fasse la
croissance s’arrêtera. C’est connu depuis que les mathématiciens ont formalisé
la fonction exponentielle et même avant. Si l’on ne fait rien, elle ne
s’arrêtera que par des catastrophes : la fin des énergies fossiles, ce qui
est peut-être un moindre mal, les guerres et les révolutions, une gigantesque
épidémie de sida ou de grippe aviaire détruisant des milliards d’hommes… C’est
peu réjouissant.
Il serait de beaucoup préférable d’arrêter
intelligemment ; la question est de savoir comment car décroître n’est pas
agréable : on est heureux quand les choses s’améliorent, on est malheureux
quand elles se dégradent. Une autre difficulté plus sérieuse encore est que nos
systèmes économiques – aussi bien le capitalisme que l’économie planifiée
productiviste – ne fonctionnent pas sans croissance. La priorité serait
peut-être de réfléchir à un système économique nouveau capable de fonctionner
correctement sans croissance…
L’exemple des vieillards
Tout le monde, à la fin de sa vie, est soumis à la
décroissance : on a des performances physiques de moins en moins bonnes,
on a de moins en moins de mémoire, on voit de moins en moins bien, etc.
Comme on ne peut pas faire autrement, on se résigne, on arrive à prendre du
plaisir à faire des activités de remplacement et à décroître moins vite :
la dérivée première est négative mais la dérivée seconde est positive. À la fin
même, quand la décroissance s’accélère, on passe à la dérivée troisième :
on est relativement content si ça s’accélère moins vite ! Il faudrait
peut-être s’inspirer de cet exemple.
La méthode de Machiavel
Dans Le Prince,
si je me souviens bien, Machiavel critiquant Louis XII dit qu’il faut
faire le mal tout d’un coup et le bien petit à petit. C’est la méthode des
guerres, on brûle tout, on détruit tout, tout le monde est misérable puis,
pendant dix ou vingt ans, on rétablit petit à petit la situation antérieure et
pendant cette période d’amélioration, même relativement modeste, tout le monde
est heureux. C’est aussi la situation de convalescence après une grave maladie.
Malheureusement, cette « méthode » est catastrophique pour l’environnement
car ce qui est détruit à chaque fois l’est irrémédiablement.
La fonction exponentielle
Il n’est pas nécessaire de connaître mathématiquement la
fonction exponentielle pour se convaincre que la croissance ne peut pas
durer ; il suffit de se rappeler la vieille histoire d’un empereur de
Chine (du temps des Hang ?) à qui l’un de ses guerriers avait sauvé la vie
pendant un combat. Il le fit appeler et lui dit de lui demander ce qu’il
désirait ; quoi que ce soit, il le lui donnerait. L’homme prit un échiquier
de 8 x 8 = 64 cases et dit à l’empereur : “Seigneur, je mets un
grain de riz sur la première case ; vous doublerez le nombre de grains en
passant d’une case à la suivante et vous me donnerez ce qui en résultera…” Oh,
horreur pour l’empereur : à la fin de la première ligne, sur la huitième
case, il y a 128 grains de riz, à la fin de la deuxième ligne, il y a
32 768 grains de riz, à la fin de la troisième ligne, il y a
8 388 608 grains… À la fin de la huitième ligne, sur la 64e case, il y a
9 milliards de milliards de grains de riz. Le total sur l’échiquier est
alors à peu près 2 000 milliards de tonnes de riz…
La fonction exponentielle, c’est ça. Certes, on peut
objecter que multiplier par deux, c’est augmenter de 100 % ; c’est
beaucoup plus qu’augmenter de 3 %. Oui mais 1 000, c’est beaucoup
plus grand que 64. Prenons alors un “hyperéchiquier”
de 33 lignes et 33 colonnes et augmentons de 3 % de case en case. Si
nous sommes partis de 1 sur la première case, nous serons à
6 479 milliards sur la 33e
case de la 33 e
ligne ! » |
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L’aspect pratique avec le libre échange
Vu la dangerosité de la croissance démographique on peut
imaginer que lorsque notre président a vénéré la "croissance" lors du
« match France Brésil » sans préciser s'il s'agissait de la
démographique ou de l'économique il s'agissait en fait de cette dernière. Vu
sous cet angle les Présidents de ces deux nations ont donné l’impression d’être
dans le même panier vu qu'ils sont favorables tous les deux au "toujours plus"
et au commerce de l'huile de palme.
Dans le cadre du libre-échange international pour les
produits alimentaires et d'un accord comme le CETA l'idée évoquée par notre président de
limiter la vitesse des portes conteneurs de telle sorte que la quantité
d'énergie nécessaire pour transporter l'aliment ne soit pas à ce point
supérieure à celle qu'il contient en son sein est une bonne idée. Il est en
effet peu probable que les porte-conteneurs vu leur poids puissent un jour
circuler sur foils pour échapper à la résistance
de vague et au fait que celle-ci serait proportionnelle à la
puissance 6eme de la vitesse. Si on divise la vitesse par 2 le nombre de porte-containers
est peut-être multiplié par 2 pour assurer un trafic équivalent mais vu que
l'effort engendrée par la résistance de vague est divisé 26 soit 32, la puissance utile égale au produit de la vitesse
par l’effort est 64 fois plus faible. Tout compte fait vu que l'on met deux
fois plus de temps l'énergie dépensée et 32 fois plus faible ce qui est tout de
même intéressant au moment où l’on souhaite à la fois réduire le toujours plus en
assurant le besoin alimentaire d'une population sans cesse croissante. Quoiqu’il
en soit on est en droit de se demander si cette multiplication des
porte-conteneurs en mer est la solution et si si la meilleure idée n’est pas
celle consistant à assurer une agriculture locale.