La croissance
Un lutin a écrit ce
qui suit lors de l’année 2006
« L’une de mes petites-filles est en Maths spé et
calcule volontiers des exponentielles et des logarithmes népériens par
approximation : Ln (1 + e) ~= e .
Je ne sais pourquoi, l’autre jour, après une discussion
avec elle, l’idée saugrenue m’est venue de calculer à quel facteur
multiplicatif conduirait un taux de croissance de 3 % par an pendant
1 000 ans (1.031000). Oh, horreur ! Le calcul
approximatif donne mille milliards ; un calcul plus exact est pire :
les valeurs sont multipliées par 6 874 milliards. Il n’y a donc aucune
chance qu’avec les taux de croissance actuels de la population et de
l’économie, l’humanité dure encore 1 000 ans !
On peut se dire que 1 000 ans, c’est beaucoup,
mais en fait c’est très peu : des hommes remarquablement cultivés et
instruits, les Égyptiens, les Grecs, les Romains et bien d’autres vivaient sur
la terre il y a plus de 2 000 ans et plus. Nous admirons encore leur
philosophie et nous lisons leurs écrits ; y aura-t-il encore quelqu’un,
dans 1 000 ans, qui lira les nôtres ? Si nous ne faisons rien,
c’est peu probable. Pourtant, certains semblent se soucier de ce qui se passera
à cette époque : j’ai entendu récemment des éminents spécialistes de
l’enfouissement des déchets nucléaires ou de la séquestration du carbone qui
disaient qu’il fallait trouver des sites d’enfouissement qui restent étanches
pendant plus de mille ans, très bien, mais si l’on ne prend pas des mesures
beaucoup plus drastiques, à l’échelle de l’humanité, ça ne sert à rien. Ça ne
protégera que les cafards ou les fourmis qui auront remplacé Homo sapiens sur la terre en 3006. Plus
pessimiste encore : si la terre est capable de supporter un rythme de
consommation annuel des ressources dix fois supérieur au rythme mondial actuel,
ce qui est très optimiste, le taux de croissance actuel de 3 % laisse à
l’humanité la durée d’une vie de soixante-dix-huit ans… On peut donc penser,
d’ici là, à quitter la terre et à aller ailleurs : “Sic itur ad Astra !”. Mais dès cette date de 2084,
ce n’est pas seulement sur la planète Mars qu’il faudrait être prêt à
déménager, mais sur plusieurs autres. À l’échelle de 1 000 ans, ce
n’est plus de planètes dont il faudrait parler, mais de galaxies. Une galaxie
comme la nôtre contient en gros 100 milliards d’étoiles. En supposant, de
façon très optimiste, que chacune d’entre elles abrite en orbite une planète
habitable, ce n’est pas une galaxie qu’il faudrait conquérir mais plusieurs
dizaines. Or notre voisine la plus proche, faisant partie de ce qu’on appelle
le groupe local, est Andromède, qui est tout de même à 2 millions
d’années-lumière (1 année-lumière~= 10 000 milliards de
kilomètres). L’amas de la Vierge, lui, est à 58 millions d’années-lumière.
Il ne semble pas qu’il y ait le plus petit espoir d’atteindre un tel objectif. Si
donc Homo sapiens doit rester sur la
terre, il faut de toute urgence arrêter la croissance de la population d’abord, de l’économie ensuite, ce qui est
complètement opposé aux habitudes naturelles, aux désirs bien compréhensibles
des hommes et aux messages que martèlent les chefs religieux et politiques. Le
« croissez et multipliez ! » qui était valable il y a 2 000
ans, avec une population de la terre estimée, je crois, à 300 millions
d’habitants, est aujourd’hui suicidaire pour Homo sapiens. Il faut regarder la réalité en face : il n’y a
pas le moindre doute, quoi qu’on fasse la
croissance s’arrêtera. C’est connu depuis que les mathématiciens ont
formalisé la fonction exponentielle et même avant. Si l’on ne fait rien, elle
ne s’arrêtera que par des catastrophes : la fin des énergies fossiles, ce
qui est peut-être un moindre mal, les guerres et les révolutions, une
gigantesque épidémie de sida ou de grippe aviaire détruisant des milliards
d’hommes… C’est peu réjouissant.
Il serait de beaucoup préférable d’arrêter
intelligemment ; la question est de savoir comment car décroître n’est
pas agréable : on est heureux quand les choses s’améliorent, on est
malheureux quand elles se dégradent. Une autre difficulté plus sérieuse
encore est que nos systèmes économiques – aussi bien le capitalisme que
l’économie planifiée productiviste – ne fonctionnent pas sans croissance. La
priorité serait peut-être de réfléchir à un système économique nouveau
capable de fonctionner correctement sans croissance… Un monde sans croissance
c’est possible….. |
Alternative économique octobre 2020 |
L’exemple des vieillards
Tout le monde, à la fin de sa vie, est soumis à la
décroissance : on a des performances physiques de moins en moins bonnes,
on a de moins en moins de mémoire, on voit de moins en moins bien, etc.
Comme on ne peut pas faire autrement, on se résigne, on arrive à prendre du
plaisir à faire des activités de remplacement et à décroître moins vite :
la dérivée première est négative mais la dérivée seconde est positive. À la fin
même, quand la décroissance s’accélère, on passe à la dérivée troisième :
on est relativement content si ça s’accélère moins vite ! Il faudrait
peut-être s’inspirer de cet exemple.
La méthode de Machiavel
Dans Le Prince,
si je me souviens bien, Machiavel critiquant Louis XII dit qu’il faut
faire le mal tout d’un coup et le bien petit à petit. C’est la méthode des
guerres, on brûle tout, on détruit tout, tout le monde est misérable puis,
pendant dix ou vingt ans, on rétablit petit à petit la situation antérieure et
pendant cette période d’amélioration, même relativement modeste, tout le monde
est heureux. C’est aussi la situation de convalescence après une grave maladie.
Malheureusement, cette « méthode » est catastrophique pour
l’environnement car ce qui est détruit à chaque fois l’est irrémédiablement.
La fonction exponentielle
Il n’est pas nécessaire de connaître mathématiquement la
fonction exponentielle pour se convaincre que la croissance ne peut pas
durer ; il suffit de se rappeler la vieille histoire d’un empereur de
Chine (du temps des Hang ?) à qui l’un de ses guerriers avait sauvé la vie
pendant un combat. Il le fit appeler et lui dit de lui demander ce qu’il
désirait ; quoi que ce soit, il le lui donnerait. L’homme prit un
échiquier de 8 x 8 = 64 cases et dit à l’empereur : “Seigneur,
je mets un grain de riz sur la première case ; vous doublerez le nombre de
grains en passant d’une case à la suivante et vous me donnerez ce qui en
résultera…” Oh, horreur pour l’empereur : à la fin de la première ligne,
sur la huitième case, il y a 128 grains de riz, à la fin de la deuxième ligne,
il y a 32 768 grains de riz, à la fin de la troisième ligne, il y a
8 388 608 grains… À la fin de la huitième ligne, sur la 64e case, il y a
9 milliards de milliards de grains de riz. Le total sur l’échiquier est
alors à peu près 2 000 milliards de tonnes de riz… La fonction exponentielle, c’est ça. Certes,
on peut objecter que multiplier par deux, c’est augmenter de 100 % ;
c’est beaucoup plus qu’augmenter de 3 %. Oui mais 1 000, c’est beaucoup
plus grand que 64. Prenons alors un “hyperéchiquier”
de 33 lignes et 33 colonnes et augmentons de 3 % de case en case. Si nous
sommes partis de 1 sur la première case, nous serons à
6 479 milliards sur la 33e
case de la 33 e
ligne ! »
Tribune libre
J’ai fait
part dernièrement aux lutins de mon inquiétude au sujet de la croissance à
l’occasion d’une réunion du Conseil supérieur des lutins thermiques (CSLT).
Voilà la
nature de notre conversation :
Balendard
« La théorie d’une
croissance économique continue et son indicateur actuel le PIB qui ne s’arrête
jamais n’est pas viable selon moi. J’ai acquis cette conviction en observant
les courbes de la croissance dans le monde depuis le début de l’urbanisation,
instant de l’histoire où cette dernière a véritablement commencé, il y a
seulement une cinquantaine d’années. Pendant une aussi courte période, le PIB a
été multiplié par cinq, ce qui correspondant sensiblement en moyenne à un taux
de croissance annuel proche de 2 % et je m’inquiète de savoir à quel
niveau nous serons au début de l’an 3 000. »
Les lutins
« Vous avez raison de raisonner sur le long
terme pour la raison que c’est en effet avec le temps qui passe que l’on constate
qu’une croissance économique et son indicateur actuel le PIB, qui ne s’arrête
jamais, n’est pas fiable. La croissance a en effet été multipliée par cinq
entre les années cinquante et l’an 2000 avec un taux de croissance moyen voisin
de celui que vous évoquez et vous avez raison de vous inquiéter. Pour savoir quel sera le monde en l’an 3 000 s’il
devait continuer avec un tel taux, qui n’a pourtant rien à voir avec les taux
de croissance annuels actuels en Chine de 10 %, il suffit de trouver le
nombre 1,021000 ou de multiplier 1 000 fois par lui-même
le nombre 1,02 ce qui revient en définitive au même. Le résultat, voisin de
400 millions, est extrêmement inquiétant et prouve bien qu’il y a quelque
chose qui cloche dans le système actuel. »
Balendard
« Mais alors que
faut-il faire ? Tout le monde explique que sans croissance, c’est le
chômage, une société à l’arrêt et sans avenir, on évoque le “développement
durable” comme une solution à nos problèmes alors qu’en vous écoutant, je
réalise que ces deux termes sont presque contradictoires. »
Les lutins
« Le problème est complexe et je préfère me reporter aux spécialistes
de la croissance 1) et aux propos récents évoqués par le secrétaire général de l’OCDE qui considère qu’il faut absolument construire
une nouvelle coordination des politiques publiques.
Une coordination qui prenne en compte le fait que
les indicateurs classiques tels que le
PIB ou l’inflation ne suffisent plus pour mesurer le progrès et lutter contre
la pauvreté. Le progrès technique a joué un rôle primordial jusqu’à
présent dans la croissance mais il faut le reconsidérer. Il doit être
maintenant au service de la lutte contre la pauvreté et du bien-être en
n’engendrant plus une augmentation débridée et irréfléchie de la consommation.
Nous ne devons plus regarder la courbe de la croissance française comme nous
regardons un électroencéphalogramme plat annonciateur d’une mort certaine. Nous
allons vers un autre monde où la croissance ne sera plus synonyme de progrès.
Pour sortir de la spirale infernale de la croissance, d’ailleurs à l’évidence
liée au réchauffement climatique, une meilleure exploitation des énergies
renouvelables est une voie prometteuse qui pourrait nous aider à franchir cette
mauvaise passe. Nous en avons encore les moyens, mais saurons-nous le faire
avant qu’il ne soit trop tard ? Une prise de conscience collective est
nécessaire. Des organisations telles que l’OCDE et l’ONU pourraient se saisir
de ce problème avant qu’il ne se solutionne de lui-même par les guerres, mais
la réponse à cette question gît peut-être au plus profond de nous-mêmes. »
L’aspect pratique
avec le libre échange
Vu la dangerosité de la croissance démographique on peut
imaginer que lorsque notre président a vénéré la "croissance" lors du
« match France Brésil » sans préciser s'il s'agissait de la
démographique ou de l'économique, il s'agissait en fait de cette dernière. Vu
sous cet angle les Présidents de ces deux nations ont donné l’impression d’être
dans le même panier vu qu'ils sont favorables tous les deux au "toujours plus"
et au commerce de l'huile de palme.
Dans le cadre du libre-échange international pour les
produits alimentaires et d'un accord comme celui du CETA, l'idée évoquée par
notre président de limiter la vitesse des portes conteneurs de telle sorte que
la quantité d'énergie nécessaire pour transporter l'aliment ne soit pas à ce
point supérieure à celle qu'il contient en son sein est une bonne idée. Il est
en effet peu probable que les porte-conteneurs vu leur poids puissent un jour
circuler sur foils pour échapper à la résistance
de vague et au fait que celle-ci serait proportionnelle à la
puissance 6eme de la vitesse. Si on divise la vitesse par 2, le nombre de
porte-containers est peut-être multiplié par 2 pour assurer un trafic
équivalent mais vu que l'effort engendrée par la résistance de vague est divisé
26 soit 32, la puissance
utile étant égale au produit de la vitesse par l’effort est 64 fois plus
faible. Tout compte fait vu que l'on met deux fois plus de temps l'énergie
dépensée et 32 fois plus faible ce qui est tout de même intéressant au moment
où l’on souhaite à la fois réduire le toujours plus en assurant le besoin
alimentaire d'une population sans cesse croissante. Quoiqu’il en soit on est en
droit de se demander si cette multiplication des porte-conteneurs en mer est la
solution et si la meilleure idée n’est pas celle consistant à assurer une
agriculture locale.
Les mouvements migratoires
Les migrations se font parfois en interne sans déborder
des limites territoriales et parfois entre nations. Ces mouvements migratoires
d’individus qui fuient les guerres, les persécutions et les exactions aggravent
les pandémies telles que celle du coronavirus. Ces transferts de population
sont parfois très importants. Par exemple 5,7 millions de réfugiés palestiniens
et 3,9 millions de Vénézuéliens. Ils ont
atteint en 2020 le record de 82,4 millions de personnes, un chiffre deux fois
plus élevé qu’il y a dix ans, selon l’ONU. Il y a aussi les nations qui
accueillent. Pour la septième année consécutive, la Turquie a accueilli la plus
importante population de réfugiés au monde (3,7 millions), suivie par la
Colombie (1,7 million), le Pakistan (1,4 million), l’Ouganda (1,4 million) et
l’Allemagne (1,2 million). Aux USA c’est environ 40 millions de ressortissants
soit environ 10% de sa population que le président Trump envisageait
d’expatrier.
1) L’OMS, qui
a élevé Jeremy Farrar au grade de responsable scientifique en l’entourant des
meilleurs spécialistes mondiaux dans 3 domaines étroitement associées à la
croissance : la santé mentale, les maladies infectieuses et les effets du
changement climatique sur la santé et qui se bat pour garantir que notre santé soit un
droit fondamental à tout être humain devrait associer à ce combat un message
nous avertissant de la dangerosité de la croissance démographique.