Alors que 8
millions de foyers en France soit près de 20 millions de français ont du mal à
payer leur facture d’électricité et que près d’un demi-million de coupure EDF
pour impayés sont signalés par le médiateur de l’énergie Mr Brisepierre
sociologue, a examiné, par des enquêtes
de terrain dans les immeubles, toutes les pratiques liées à la consommation
d’énergie afin de comprendre dans quelle mesure les comportements des habitants
pouvaient ou non contribuer à la transition énergétique. Il a rédigé un thèse sous
la direction de Mr Dominique Desjeux, professeur
d’anthropologie à l’Université de Paris Descartes – Sorbonne, financée avec la
participation de l’Etat et de la Direction de la Recherche et de l’Innovation
de GDF Suez. Cette thèse probablement initiée par celui qui est en France
chargé par notre gouvernement de la mise en place de nouvelles solutions
minimisant le recours aux énergies fossiles comme le charbon, le pétrole, le
gaz (qu’il soit de schiste ou non) ainsi qu’aux centrales nucléaires arrive au
bon moment quand l’on sait que le médiateur de l’énergie a dû accorder un tarif
de première nécessité à 1,2 millions de foyers français lors de l’année
2012/2013
INTERVIEW
DE GAETAN BRISEPIERRE, SOCIOLOGUE,
SUR LES
NOUVEAUX COMPORTEMENTS DES COPROPRIETAIRES FACE AUX ECONOMIES D’ENERGIE
1.
Quel est le sujet de votre thèse que vous venez de soutenir sous le titre « Les
conditions sociales et organisationnelles du changement des pratiques de
consommation d’énergie dans l’habitat collectif » ?
Il s’agit non seulement des
pratiques quotidiennes à l’intérieur de l’appartement, mais aussi de la façon
dont les habitants participent à la gestion de l’immeuble et aux décisions de
travaux. Cette dimension est essentielle dans les copropriétés car le parc de 8
millions de logements est confronté au difficile défi de la rénovation
énergétique. J’ai notamment réalisé une enquête sur 22 copropriétés d’Ile de
France déjà engagées dans une dynamique de travaux d’économies d’énergie.
2.
Quelle place peut avoir plus généralement « la sociologie de l’énergie » dans
les copropriétés ?
Les
premiers travaux de sociologie sur l’énergie en France datent des années 80
mais c’est vraiment depuis 10 ans que plusieurs chercheurs se sont spécialisés
sur le sujet. Aujourd’hui, la sociologie de l’énergie est un champ scientifique
qui ne bénéficie pas encore d’une reconnaissance académique, mais qui est en
train de se structurer au niveau national et international, comme en témoigne
les nombreux colloques sur le sujet en 2012. La sociologie peut aider les
acteurs des économies d’énergie à innover et à ajuster leurs actions en
fonction des observations faîtes sur de terrain. Ces acteurs ce sont les
pouvoirs publics, les collectivités territoriales, les énergéticiens, les professionnels
de l’habitat, les associations… Elle les aide à construire un cadre politique
et économique favorable à la transition énergétique. Ces acteurs ont très
souvent une approche normative des problèmes, autrement dit, ils partent de ce
qui devrait être au lieu de partir de ce qui est. La sociologie, telle que je
la pratique, les prend à rebrousse poil en essayant
de décrire le plus finement possible la réalité sociale, et d’en faire un point
de départ pour les aider à élaborer des actions plus efficaces en matière
d’économie d’énergie. Je donne un exemple pour illustrer cette idée :
aujourd’hui le gouvernement incite les copropriétaires à faire d’un seul coup
l’ensemble des travaux de rénovation énergétique. Pour avoir un prêt à taux
zéro il vous faut présenter un « bouquet de travaux » ! Dans les copropriétés
où j’ai enquêté j’ai observé la logique inverse : les copropriétaires étalent
les travaux d’économies d’énergie sur plusieurs années, car le projet est
complexe à gérer et qu’il y a d’autres dépenses à faire dans une copropriété.
Du coup le système des bouquets de travaux exclut un grand nombre de
copropriétaires. Au lieu de rester accroché à un idéal technico-économique, les
acteurs privés et publics seraient plus avisés de prendre la réalité sociale
comme point de départ, et la sociologie peut les y aider.
3.
Le syndic de copropriété est-il le seul moteur des économies d’énergie en
copropriété ?
Franchement
non ! Pourtant il y a un discours des fédérations nationales en faveur des
économies d’énergie. Par exemple la FNAIM a pris des engagements sur le sujet,
ou l’UNIS organise des concours de la copropriété la plus vertueuse. Mais sur
le terrain, dans les agences, la situation est beaucoup plus difficile. Ce
n’est pas de la mauvaise volonté de la part des syndics, c’est un problème de
modèle économique qui, actuellement, n’est pas compatible avec la prise en
charge d’un projet de rénovation énergétique. D’abord, cela demande un énorme
travail de préparation en amont du vote, alors que les syndics sont rémunérés
seulement si les travaux sont votés.
Ensuite
les syndics sont des comptables et des juristes mais n’ont pas les compétences
techniques nécessaires pour piloter un projet de rénovation. Depuis 15 ans ils
ont complètement abandonné la partie technique, par exemple en supprimant le
métier d’inspecteur d’immeuble. Dans les copropriétés qui avancent sur le sujet
c’est l’engagement d’un copropriétaire bénévole qui constitue le moteur de la
rénovation. J’ai proposé de les désigner par l’expression de « leader
énergétique » car ce sont ces copropriétaires qui incarnent le projet aux yeux
des habitants, qui coordonnent les différents professionnels, et compensent les
défaillances du syndic. Il y a deux choses importantes à prendre en compte sur
ces « leaders ». La première c’est que l’on n’en trouvera pas dans les 8
millions de copropriétés à rénover. En effet ce sont des personnes ayant un
profil très particulier qui expliquent d’ailleurs leur engagement sur le sujet.
Ils ont des convictions écologiques même s’ils évitent de les afficher
publiquement, et disposent de compétences, notamment techniques, qui les aident
à s’approprier le sujet. La seconde remarque sur les « leaders » est que dans
la copropriété, cela ne mène à rien d’agir seul, car la copropriété est avant
tout un collectif qui se vit comme une démocratie. Pour agir, le leader doit
parvenir à enrôler le Conseil Syndical dont chacun des membres disposent de
compétences propres et de son réseau de voisins avec qui il peut échanger sur
le projet. Dans certaines copropriétés, la rénovation énergétique passe d’abord
par un renouvellement du Conseil Syndical, voir un coup d’Etat quand le
Président est vraiment réticent.
4.
Est-il nécessaire d’organiser la formation des copropriétaires aux économies d’énergie
et sous quelle forme ?
Je ne sais
pas si les copropriétaires seraient prêts à passer du temps et à dépenser de
l’argent pour se former. Mais ce qui est sûr c’est qu’ils ont besoin d’être
accompagné car la rénovation énergétique ce n’est pas voter une dépense de plus
mais mener une double révolution : organisationnelle et culturelle. Une
révolution organisationnelle car si les copropriétaires ne prennent pas en main
eux même le projet de rénovation, rien ne se fera. Or ils sont habitués à se
reposer sur le syndic qui joue souvent le rôle de « tuteur légal », là il faut
au contraire prendre des initiatives et oser ! C’est un changement de
mentalité, il faut passer d’une vision individualiste de l’immeuble, à une
vision plus communautaire car l’immeuble constitue le patrimoine commun des
copropriétaires. Une révolution culturelle aussi car au départ les
copropriétaires ont une vision plutôt simpliste de l’énergie : « Il suffit de
tourner le bouton pour que ça marche ! ». La rénovation suppose des apprentissages
techniques pour affronter la complexité des problèmes. Bien sûr cela concerne
en premier lieu le leader et le Conseil Syndical, mais ces notions techniques
doivent aussi faire l’objet d’une vulgarisation au niveau de tous les
copropriétaires. Si vous ne connaissez pas la notion de « paroi froide » vous
ne pouvez pas comprendre pourquoi l’isolation permet d’améliorer le confort !
Actuellement, c’est le monde associatif qui accompagne ces deux révolutions.
Les associations qui gèrent les Espaces Info Energies jouent le rôle de
médiateur avec les professionnels techniques, comme les bureaux d’études, qui
n’ont pas l’habitude de travailler avec des particuliers. Les associations
consuméristes comme l’ARC jouent notamment un rôle de contre-pouvoir vis-à-vis
du syndic, bien utile aux copropriétaires pour se dégager de cette tutelle. Le
problème est que le tissu associatif n’est pas dimensionné pour accompagner la
rénovation des 8 millions de logements en copropriété. La question qui se pose
est de savoir quels acteurs vont prendre le relais pour passer à la phase
industrielle de la transition énergétique en copropriété ?
5.
Qu’appelle-t-on » l’effet rebond » en matière d’économies d’énergie et de
développement durable dans les copropriétés et comment l’éviter ?
Les
experts désignent par cette expression une surconsommation d’énergie à la suite
de travaux, par rapport à ce qui avait été envisagé dans les calculs
préalables. On a aujourd’hui assez peu de recul pour mesurer ces
surconsommations, mais les premiers retours d’expérience montrent qu’elle peut
être le double de ce qui était prévu. C’est très grave car bien souvent une
partie du financement des travaux reposent sur le calcul des économies de
charges. Le discours actuel consiste à dire que ce sont les habitants qui sont
responsables de ces surconsommations à cause d’un relâchement dans leurs
comportements. C’est un peu trop facile ! Quand on regarde d’où viennent ces
surconsommations, il y a aussi les malfaçons des entreprises lors des travaux.
Un bon exemple est celui de la mauvaise étanchéité à l’air des cadres de
fenêtre souvent posés à la va-vite car les poseurs sont payés à la pièce. Du
coup les copropriétaires se retrouvent avec des fenêtres très performantes,
mais surtout des fuites d’air qui les obligent au augmenter le chauffage. Il y
a aussi les problèmes de maintenance des installations collectives qui
dégradent les performances énergétiques. Par exemple, après l’installation
d’une nouvelle chaudière plus économe, le réseau de chauffage n’est pas
équilibré et certains appartements se retrouvent avec des températures trop
basses. Du coup, il faut augmenter le chauffage pour tout le monde afin que les
moins favorisés aient un minimum de confort. Bien entendu les comportements des
habitants jouent aussi sur la consommation mais je ne formulerais pas le
problème en termes de « relâchement ». C’est plutôt que les hypothèses prises
dans les calculs sont irréalistes ! Par exemple, l’hypothèse d’une température
de chauffage de 19°C alors que plusieurs études montre que la moyenne en France
est plus élevée. En fait, on ne sait pas bien comment les gens se comporteront
dans des bâtiments très isolés car on a encore trop peu d’exemple.
Pour
éviter « l’effet rebond », la clé est dans l’engagement des habitants dans le
projet de rénovation. D’une part pour effectuer un suivi précis des travaux et
de la maintenance afin d’éviter les erreurs des entreprises. D’autre part,
c’est l’adhésion des copropriétaires au projet qui va les amener à s’intéresser
aux nouveaux équipements et les conduira d’eux même à adapter leurs gestes
quotidiens. Cela ne sert à rien de vouloir « dresser » les habitants aux « bons
» comportements, que l’on est de toute façon incapable de définir !
6.
Que pensez-vous des obligations d’audit énergétique des copropriétés,
obligatoire depuis le 01/01/2012 ?
Ils vont
être obligatoires pour les immeubles de plus de 50 lots dotés d’un chauffage
collectif, ce qui est loin d’être la majorité des logements en copropriété ! On
ne traite donc que 15% du problème… Sinon les copropriétés de moins de 50 lots
ou avec du chauffage individuel ne sont astreintes qu’à un diagnostic de
performance énergétique collectif qui est beaucoup moins complet, insuffisant
pour concevoir une rénovation.
Le choix de
faire de l’audit une obligation légale est risquée car son intérêt repose sur
la dynamique qu’il engendre au niveau de la copropriété et avec de nouveaux
professionnels. Si les copropriétaires font un audit parce qu’ils y sont
contraints cela risque de vider la démarche de son sens. Car ensuite ce n’est
pas finit : il faut voter les travaux ! Et si la copropriété n’est pas
mobilisée pour monter un projet de rénovation l’audit n’aura servi à rien.
7.
Quels sont les facteurs qui peuvent influer sur les décisions des
copropriétaires de se lancer dans un programme de travaux d’économies
d’énergie? Croyez-vous à la « valeur verte » d’un appartement ou d’un immeuble
en copropriété?
Je
suis très sceptique sur cette notion de « valeur verte » du moins à court terme.
D’abord, quand vous regarder les choix résidentiels des acheteurs, les premiers
critères sont la surface et la localisation, le DPE vient loin derrière.
D’ailleurs, il suffit de se rendre devant une agence immobilière pour constater
que les agents ne sont pas très pressé pour afficher les DPE, c’est sûrement
que cela ne constitue pas un critère primordial pour les acheteurs. Ensuite, il
y a en France une crise du logement qui se traduit par une hausse continue des
prix de l’immobilier, en particulier dans certaines régions comme l’Ile de
France. Quand vous êtes propriétaire d’un logement à Paris, sa valeur monte que
vous fassiez des travaux ou pas… alors à quoi bon investir ! Enfin, la « valeur
verte » c’est très théorique, sur le terrain c’est beaucoup plus
contrasté que ça. Dans les copropriétés, ceux qui ont l’intention de vendre
sont en général les plus réticents aux travaux car ils sont ensuite utilisés
par les acheteurs pour négocier à la baisse le prix de vente. Donc au final, la
« valeur verte » c’est pour ceux qui ne veulent pas vendre, un bien beau
paradoxe ! Pour moi le premier facteur qui peut influencer les décisions de
rénovation énergétique, c’est l’évolution à la hausse du prix de l’énergie.
Mais ce n’est pas suffisant car il y a des problèmes organisationnels, sinon,
avec les fortes augmentations récentes, toutes les copropriétés seraient déjà
en train d’isoler par l’extérieur, ce qui est loin d’être le cas. A mon avis,
l’évolution de la loi de 1965 est désormais une nécessité et pas seulement pour
les économies d’énergies. L’ARC se bat depuis longtemps pour la mise en place
d’un fond de travaux obligatoire. Il faut aussi s’interroger sur la légitimité
d’une rémunération des syndics sur les travaux d’économie d’énergie quand on
voit leur absence dans ces projets. La question qui est derrière est celle de
l’émergence de nouveaux acteurs professionnels, plus à même d’accompagner les
copropriétés dans la rénovation énergétique. Du coté des professionnel du
bâtiment, la question est de savoir s’ils vont accepter de prendre leur part de
risque, qui est indissociable de toute innovation. Concrètement, vont-ils se
lancer dans la mise en place de Contrat de Performance Energétique,
garantissant les économies d’énergie ? Ces contrats ne seront peut-être pas
tout de suite rentables car il y aura forcément des ratés, mais les
copropriétaires aussi prennent des risques quand ils décident des travaux !
Enfin, un élément dont on parle moins souvent c’est le phénomène démographique
actuel du « papy-boom » qui va libérer une force de travail importante de
retraités. A cette étape de la vie les individus ont besoins de conserver des
liens sociaux et sont nombreux à s’investir bénévolement, notamment dans la
gestion de leur immeuble mais pas seulement. Des changements dans la loi de
1965 qui favoriseraient la gestion bénévole et coopérative permettraient sans
doute, de canaliser cette force de travail nouvelle dans le sens de l’intérêt
général.
Gaëtan Brisepierre est
sociologue indépendant, expert des questions d’énergie, d’habitat et
d’environnement.