Le mix énergétique
mondial va se transformer
Entretien de « politiques énergétiques »
avec Nick Butler ancien vice-président de BP :
Anthea Pitt : Bonjour Nick, nous sommes à Londres pour la première "PE
car" britannique. Vous êtes spécialiste dans le domaine de la
politique énergétique.
Nick Butler : Je suis économiste de formation.
Comment
jugez-vous la politique énergétique du Royaume-Uni de ces 5 dernières
années ?
Il y a plus de continuité que de rupture. Ce qu'on observe, c'est la
continuité dans l'investissement nucléaire. C'est une bonne chose, je suis pour
le nucléaire, mais je ne suis pas sûr que la technologie de la centrale à Hinkley Point ne soit pas viable. C'est le grand
projet d’EDF, qu'ils veulent construire au Royaume-Uni. La technologie qu'ils
utilisent n'a pas fait ses preuves, et elle est très coûteuse. Et elle progresse
très lentement, comme on a pu le voir dans les projets de centrales
équivalents, qu'ils ont essayé de monter dans le Nord de la France à
Flamanville et en Finlande. Le type de réacteur EPR jusqu'à présent ne
fonctionne nulle part. A mon avis, nous devrions attendre jusqu'à ce que les
réacteurs soient opérationnels. Mais ce n'est pas moi qui décide et il
semble que le gouvernement va réaliser le projet.
Si j'ai bien
compris, vous voyez un avenir pour le nucléaire au Royaume-Uni et en Europe ?
Tout dépendra du bon fonctionnement ou non de cette technologie-là. L'Allemagne
est en train de sortir du nucléaire. Et EDF, l'un des acteurs les plus
importants du nucléaire européen, s'est beaucoup investi dans cette
technologie. S’ils réussissent à la faire marcher, c'est bien. Parce que là il
y aurait beaucoup d'opportunités à rénover les centrales nucléaires en
France. Et en construire d'autres en Europe et au Royaume-Uni. Mais
si cela ne marche pas, ils vont avoir un gros problème. En ce qui concerne
l'énergie, on entre dans une ère d'abondance. La technologie a augmenté
l'offre énergétique, tout en réduisant la demande en énergie. Les gens
consomment de manière plus responsable. Ces deux données font qu'il y a
plus d'énergie que le marché ne peut absorber.
Cela a-t-il un effet sur les énergies renouvelables ?
Nous assistons à une baisse des coûts de production des énergies
renouvelables. La technologie avance très vite, et la tendance va vers une
baisse radicale des coûts. Selon de nombreux pronostics, l'énergie solaire va
atteindre ce qu'on appelle la "grid parity". Cela signifie qu'aux États-Unis, le
solaire sera à un prix compétitif sans subventions d'ici quelques années. Une
fois atteint ce point, le solaire s'imposera à l'échelle mondiale. Et ça,
c'est un aspect important de l'ère d'abondance qui va arriver.
N'y a-t-il pas un problème de stockage avec les renouvelables ?
Ça, c'est le défi du moment, trouver comment stocker les renouvelables.
Est-ce qu'on
est en train de vivre un point de rupture dans l'approvisionnement en énergie?
Oui en effet, nous vivons les débuts de cette rupture, et le réchauffement
climatique en est un autre marqueur. Et on pourrait y ajouter les besoins
énergétiques croissants des pays émergents. En Asie, ils n'ont pas les moyens financiers
pour construire des centrales comme Hinkley. Mais
des énergies moins chères et moins gourmandes en carbone pourraient pénétrer
ces marchés.
Oui nous
sommes vraiment à un moment de transition. Et qu'en est-il de l'OPEP ?
L'OPEP n'a plus le rôle d'arbitre, ils ont perdu du pouvoir. La
technologie a facilité l'accès à d'autres sources d'hydrocarbures, comme le gaz
ou le pétrole de schiste. De nouveaux territoires d'exploitation énergétique
ont été ouverts. L'offre croît plus vite que la demande. Cela rend
les pays de l'OPEP plus vulnérables, car ils n'ont pas su diversifier leurs
offres énergétiques. De mon point de vue, ils n'ont pas bien utilisé leurs
profits pour se diversifier. Certes, c'est un processus difficile mais
inévitable. Les pays de l'OPEP dépendent d'une seule source
d'énergie. Certains membres de l'OPEP cherchent désespérément à
faire remonter le prix. Mais ils n'ont pas le pouvoir de s'imposer. De
l'autre côté, l'Arabie Saoudite commence à comprendre que sa stratégie a
échoué. Du coup, certains de leurs alliés et partenaires se retrouvent
dans une situation difficile. Eux aussi pensent qu'il va falloir agir. Je
ne pense pas que le gel des prix soit la bonne stratégie. Si vous voulez
que les prix remontent, il faut réduire la production. À l'heure
actuelle, l'offre excède la demande chaque jour. Partout dans le monde les
stocks s'accumulent. Il va falloir beaucoup de temps pour se débarrasser
de cet excédent. L'autre problème, c'est que la demande de pétrole en Europe,
aux États-Unis et au Japon est en train de doucement baisser. Tout cela
est aussi lié à la récession que vit la Chine. Et c'est une conséquence
inévitable du boom qu'elle a vécu depuis très longtemps. La Chine va s'en
sortir, c'est sûr. Une croissance faible en Chine entraînera une
stagnation de la demande en pétrole. Il n'y a pas d'augmentation de la demande
en Europe, et elle est très faible aux États-Unis. D'ailleurs, les
États-Unis sont au bord de l'autosuffisance énergétique. Vu l'absence de
l'augmentation de la demande, il est difficile de voir comment absorber les
excédents qui se sont accumulés.
Mais est-ce
que la demande va se stabiliser à ce niveau-là maintenant ?
Mais il y a autre chose encore. Tout le monde a prédit l'effondrement du
secteur du schiste aux États-Unis, une fois que le prix du baril aurait chuté
en dessous de 90 dollars. Mais en vérité, le secteur s'est avéré d'une
remarquable résilience. J'ai parlé à quelques producteurs qui m'assurent
que la production est maintenant rentable à partir de 50 dollars. Et à
moyen terme, elle le sera à 40 dollars. Cela signifie que le coût de base
a considérablement chuté.
D'ici 15 ou
20 ans, comment voyez-vous évoluer le mix énergétique mondial ?
Il y aura une grande transformation du
mix énergétique mondial. Les énergies renouvelables vont l'emporter. Parce
que là encore, les coûts vont baisser. Les énergies renouvelables n'auront
plus besoin de subventions, et les avancées technologiques vont se répandre
très rapidement. Je dirais que la part des hydrocarbures, qui représente pour
le moment 75 %, va chuter de plus en plus d'année en année. Et celle des
énergies renouvelables va augmenter.
Pour éviter tout malentendu, les
hydrocarbures vont rester du "big
business". Pourvu que la production se fasse à des prix plus bas.